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“Je peux prendre une photo avec vous deux?“, m’a demandé cette coréenne. “Avec qui?“, je lui ai répondu. “Avec toi! Et avec ton pote!” “Quel pote??? Je suis seul!” “Lui là, qui s’éloigne!“, en pointant du doigt un noir. J’ai explosé de rire à ce moment là! Le signe de tête quand on est noir, elle ne connait visiblement pas (c’est pas de sa faute hein!).
Une minute plus tôt, je croisais dans la rue un des rares noirs présents sur place, et il m’a fait un léger signe de tête, accompagné d’un “Salut!“. Ce à quoi je lui ai répondu par un discret hochement de tête, et également un “Salut! Ça va?“. Cette coréenne a vu la scène et a supposé qu’on était potes. Ben oui, deux noirs dans la même rue ET qui se disent bonjour, dans une zone où il n’y en a quasiment pas, ils se connaissent forcément! Et ben non, je n’avais jamais vu ce mec avant, et je ne l’ai plus jamais revu après. Le fameux signe de tête quand on est noir, une énigme pour beaucoup de monde que je vais tenter de déchiffrer!
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C’est quoi le signe de tête quand on est noir?
Pour commencer… c’est quoi le signe de tête quand on est noir? Selon la définition de l’urban dictionnary, c’est “un acte de reconnaissance et de respect accompli en levant et baissant sa tête quand on voit une connaissance dans un espace public, et qu’on veut lui montrer du respect pour sa présence. C’est aussi quand deux noirs ou plus se font un signe de tête pour se saluer, simplement car ils sont noirs“
Ouais, c’est plus ou moins ça. Quand on est noir et qu’on se retrouve dans un lieu où il n’y en a quasiment pas, on a forcément vécu le fameux signe de tête. Un discret hochement de tête qu’on adresse à un autre noir croisé dehors. Très subtil, très rapide. Si vous marchez à côté de moi et que vous regardez ailleurs quelques secondes, vous ne verrez probablement pas que je viens de saluer un confrère noir croisé à l’instant. C’est ça, être noir et voyager, on se dit bonjour!
Ça se fait (en général) rapidement et furtivement. Quelque chose qui se fait assez naturellement, et qui provoque la perplexité et la confusion des non-noirs qui ont déjà assisté à un échange de signe de tête entre noirs. “Euh… Tu le connais?” , m’a demandé une autrichienne, après m’avoir vu dire bonjour à un noir à Samarcande. “Non, je ne le connais pas” “Mais… Pourquoi vous vous êtes dit bonjour alors???“
Pourquoi ce signe de tête entre noirs?
Et oui, pourquoi ce hochement de tête entre noirs? Pourquoi on se dit bonjour, alors qu’on ne se connait même pas? Dans les grandes lignes, ce signe de tête se traduirait comme ça “Hey! Je ne pensais pas voir un autre noir ici! Content de te voir, et prends soin de toi!” Une autre façon de se serrer la main. D’ailleurs en se saluant, souvent on se tape du poing (comme la photo principale de l’article). Ok mais pourquoi on fait ça?
Dans plein de zones du monde, on ne s’attend pas du tout à voir un autre noir. On passe des journées entières à explorer une ville/une région/un pays, sans en croiser un seul! Et quand finalement on en voit un, c’est un mélange de surprise/reconnaissance/soutien qui nous envahit, et on va instinctivement se dire bonjour. Implicitement, on est contents de voir “un des nôtres, quelqu’un de semblable”, dans un lieu où on est en très faible minorité. “Cool, je ne suis pas seul!“
C’est un signe de reconnaissance, de camaraderie, de complicité, et aussi une façon de se dire “Je suis là pour toi si besoin!” C’est un peu bizarre… En fait, c’est un peu comme si tu explorais un territoire inconnu, potentiellement hostile (j’en parlais dans mon article sur la peur du racisme en voyage), et le fait de voir un autre noir te fait sentir un peu plus à l’aise.
En fait, je pense que les gens (en général) se diront toujours bonjour quand ils se retrouvent dans un endroit où ils sont en forte minorité. C’est juste bien plus commun de faire ce signe de tête entre noirs. Par exemple, j’ai rencontré un voyageur blanc qui me disait avoir beaucoup voyagé en Inde, souvent dans des zones rurales sans aucun touriste. Quand il croisait un autre occidental (blanc), ils se faisaient systématiquement le signe de tête. Il y a un certain feeling quand on voit un physique “familier”. D’ailleurs quand j’y pense, quand j’étais à Dili au Timor Oriental, je disais parfois bonjour aux rares touristes que je croisais dans la rue, noir ou pas (il n’y en a quasiment pas là bas). En fait le signe de tête est universel.
Pour revenir au signe de tête entre noirs, je précise qu’il a lieu uniquement en voyage (ouais vous lisez un blog voyage…). Ça ne m’est jamais arrivé de faire un signe de tête (ou d’en recevoir) dans des villes avec plein de noirs. Ni où je vis à Paris, ni à Londres, ni en Europe de l’ouest en général, ni aux Etats Unis. Ça rejoint ce que je disais plus haut, ça arrive uniquement dans des zones où on est en forte minorité. Et quand ça arrive, les réactions sont différentes. Comme je le disais, en général c’est discret. Parfois, on se serre la main (c’est arrivé à New Delhi), parfois ce sont de grandes accolades et on tape la discussion (c’est arrivé à Ella au Sri Lanka).
Le signe de tête des noirs, c’est uniquement américain?
J’ai remarqué qu’en général, les noirs américains sont plus enclins à faire le signe de tête et engager la conversation que les noirs européens. Ça doit être culturel, et les américains (en général, pas que les noirs!) voyagent beaucoup moins que les européens. Ils doivent donc être encore plus ravis de voir un confrère. Mais il n’y a pas que les noirs américains qui le font. Je me souviens de cette américaine noire, dont le visage s’est illuminé en me voyant “Mon poooote!!! Ça va??? T’es en vacances? Trop cool de te voir! etc…” On a échangé comme si on était deux amis qui ne s’étaient pas vus depuis des années! Les noirs américains vont aussi être plus enclins à discuter “Salut! Ça va? Tu viens d’où? Qu’est ce que tu fais là? Tu kiffes?” Les européens vont plutôt se contenter du signe de tête et continuer leur route.
Je ne cache pas que blablater pendant 1/4 d’heure avec un inconnu (qu’il soit blanc, noir ou autre), ça me gonfle assez vite. Surtout que passé les politesses de base, en général on n’a plus grand chose à se dire. Ça fait toujours plaisir de se faire une accolade, se sourire, discuter… quand c’est cinq minutes. Au delà, je reste poli mais j’ai envie d’abréger la conversation. La plupart des noirs rencontrés se contentent du signe de tête, certains discutent rapidement mais quelques uns racontent toute leur vie… En général, je fais un signe de tête, je dis bonjour, parfois je serre la main ou on se tape du poing, et ça s’arrête là. Si la personne en face veut parler, on discute. Quand ça devient long, je trouve une excuse pour partir.
Il n’y a pas si longtemps, je faisais partie de ceux qui restaient impassible en croisant un noir en voyage “Pourquoi se dire bonjour ici dans ce coin paumé??? Alors qu’on ne se serait même pas calculé dans un pays occidental! On peut faire nos vies tranquillement, voyager dans son coin, sans être obligé d’interagir si on en a pas envie! Et une fois de plus, tous les locaux autour vont penser qu’on est amis ou de la même famille!” C’est très parisien comme façon de penser. Mais je me suis rendu compte, qu’en fait, ça fait juste vraiment plaisir aux autres de croiser un confrère et de pouvoir, ne serait-ce que dire bonjour.
Ça a commencé quand, ce signe de tête entre noirs?
Honnêtement, je ne sais pas. Ca a forcément à voir avec l’histoire des noirs : l’esclavage, l’oppression, être ignoré et invisible aux yeux de la société pendant 400 ans… et finalement être indépendant, faire du fric, voyager si on en a envie, et croiser des confrères et consœurs faire de même. Je me souviens de ce noir américain qui est venu me parler dans un bar à Belgrade “Tu viens d’où?” “De Paris et toi?” “De New York! J’ai remarqué que vous, les noirs d’Europe, surtout les français, vous passez devant un ‘brother’ sans lui dire bonjour! Il faut qu’on se soutienne, tu m’as même pas calculé!” “Mec je t’avais pas vu…” Je ne l’avais vraiment pas vu, et si c’était le cas, je ne pense pas que j’aurais été le voir. Il était avec d’autres gens, il y avait beaucoup de bruit avec la musique, j’étais un peu éméché, etc…
Maintenant je fais le signe de tête à un noir plus spontanément, mais si je sens que le mec n’a pas envie d’interagir, je ne le fais pas (même si je sais bien qu’il m’a vu). Par contre, je ne fais jamais le signe de tête à une fille en premier. Ça peut être mal interprété et je ne veux pas de problèmes #metoo #balancetonporc. Si elle me fait un hochement de tête, alors je réponds avec un signe de tête également. Sinon, je ne le fais pas.
Comme je le disais, le signe de tête entre noirs et surtout fait dans des zones où on est en forte minorité. Ça peut s’appliquer pour tout groupe minoritaire d’ailleurs. Je parlais plus haut des blancs dans les zones rurales en Inde, des rares touristes au Timor Oriental… Pour aller plus loin, les motards et les cyclistes aussi se font un signe de tête quand ils se croisent (en minorité par rapport aux voitures, et il y a une sorte d’appartenance à un même groupe). Il y a aussi l’aspect culturel. Par exemple, à la campagne presque tout le monde se dit bonjour. Ils se connaissent tous en général mais ce n’est pas toujours le cas. Ça ne les empêche pas de se saluer. Quoi qu’il en soit, ce signe de tête entre noirs n’est pas prêt de disparaître.
Vous êtes noir? Faites vous un signe de tête quand vous en croisez un autre? Entamez vous la discussion? Ou vous ne faites rien? Vous n’êtes pas noir? Qu’est ce que vous en pensez? Surprenant? Plutôt cool? Ridicule? Communautaire? Dites le moi! Lisez aussi cette liste d’explorateurs noirs qui ont voyagé à travers le monde, et cette liste de blogueurs voyage noirs à suivre!
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J’ai vu ton article sur un groupe de voyage et il m’a tout de suite intriguée. C’est très intéressant, et je pense même qu’il y a un côté assez universel comme tu l’expliques très bien. J’ai vécu quelques mois en Asie (à Chiang Mai, en Thaïlande) et c’est vrai que quand tu te retrouves en minorité, tu as de suite le réflexe de saluer ou d’aller plus facilement vers des inconnus dans lesquels tu te reconnais. Pourtant, je suis plutôt timide de base ! Je pense que c’est totalement instinctif, on a tous besoin d’éprouver un sentiment d’appartenance, et dans les pays avec une forte barrière culturelle, cela s’accentue d’autant plus.
Super sujet, je n’avais jamais pris le temps d’y réfléchir et tu le décris très bien.
Merci beaucoup pour ton commentaire, ça fait plaisir! 🙂
Ahaha en Inde on appelait ça le “white man nod”, on se posait la question de pourquoi quand on rencontrait des blancs, qu’on ne connaissait ni d ‘Eve ni d’Adam, ils nous faisaient un signe de tête. C’est arrivé dans plusieurs autres pays, en particulier lorsqu’il n’y avait pas beaucoup de blancs. On peut donc dire que ce n’est pas le signe de tête noir, ou le white nod, mais le signe de tête humain, lorsqu’il croise quelqu’un qui lui ressemble un peu et qu’il essaye de faire une connexion. Je découvre ton blog aujourd’hui, les articles sont supers intéressants 🙂
Merci beaucoup! Oui c’est ce que je disais, quand on est en minorité et qu’on croise quelqu’un qui nous ressemble, on ne peut pas s’empêcher de vouloir créer un lien, même rapide, en se saluant!
Merci beaucoup d’avoir partagé cette article très intéressant ! Je suis noire et adoptée, bien que je sois jeune adulte j’ai vécu jusqu’à maintenant majoritairement entourée de personnes blanches. Notamment je me rappelle avoir été très souvent la seule personne noire de mes classes de collège jusqu’au lycée. Etant un peu plus jeune, je pense avoir souffert d’une grosse crise identitaire, toutefois je ne m’étais pas pour autant rapprochée ni de mon origine, ni d’une communauté noire. Pour moi l’essentiel était de me définir par ma personnalité. Jusqu’au jour où une nouvelle au lycée, venu de Cote d’ivoire, (devenue une amie très proche), m’a fait la réflexion qu’elle avait été choqué que je ne sois pas allée lui parler le premier jour (nous étions les deux seuls noirs de la classe). C’est en faisant sa connaissance, que je comprend maintenant ce sentiment de complicité qui nous rapproche. Votre article m’a encore plus éclairé à ce sujet, merci beaucoup !
Merci pour votre commentaire! Oui certains parlent de communautarisme, d’autres comprennent bien ce sentiment de complicité qui peut nous rapprocher! Pour votre amie venue de Cote d’Ivoire, elle aurait très bien pu venir vous parler aussi 🙂