Beaucoup de voyageurs qui se rendent au Cambodge ne vont même pas à Phnom Penh, car ils estiment qu’il n’y a rien à faire sur place. Je recommande pourtant d’y passer quelques jours, au moins pour visiter le musée du génocide Tuol Sleng (anciennement prison S-21), mais également Choeung Ek, le site d’extermination des Khmers rouges (en anglais killing fields). Mais c’est quoi ça, le musée du génocide Tuol Sleng? Et Choeung Ek, les killing fields des Khmers rouges?
Table of Contents
Rapide histoire du Cambodge
Rapide cours d’histoire. Le Cambodge faisait partie de l’Indochine, cette ancienne colonie française. Après son indépendance, le Cambodge a du faire face à un autre problème, la guerre du Vietnam. Le Cambodge n’était pas directement impliqué, mais les USA ont aussi bombardé le Laos et le Cambodge, pour empêcher les communistes vietnamiens de se ravitailler dans ces pays là (via la piste Ho Chi Minh). Les Khmers rouges, communistes, étaient donc vus comme des héros par la population locale au début, quand ils ont réussi à dégager, petit à petit, les américains.
Invasion des Khmers rouges
Mais le Cambodge allait vivre une des pires périodes de son histoire. Le 17 avril 1975, les troupes des Khmers rouges entrent dans Phnom Penh et donnent l’ordre à la population d’évacuer la ville “seulement quelques jours“, sous prétexte d’un bombardement américain imminent. Les locaux sont d’abord réjouis de l’arrivée des Khmers rouges. Mais ils déchantent vite. Les malades sont sortis de force des hôpitaux, les familles sont séparées, la population divisée en plusieurs groupes et ceux qui ne veulent pas quitter leur maison sont tués.
Nouveau régime en place
Le chef des Khmers Rouges, Pol Pot, veut créer un nouveau régime pour le pays. Ce n’est plus le Cambodge mais le Kampuchea démocratique. Nous ne sommes plus en 1975 mais en l’an zéro d’une nouvelle ère. La langue cambodgienne est modifiée, mais surtout la population va être épurée. Du 17 avril 1975 au 7 janvier 1979, date de la chute du régime des Khmers rouges, on estime à 3 millions (sur une population de 8 millions!) le nombre d’innocents tués dans le pays.
Comment se débarrasser de millions de gens? Les soldats khmers rouges vont enfermer la population dans des prisons, torturer les gens, leur faire signer de faux aveux avant des les transférer dans des sites d’extermination pour les tuer. Ceci va durer presque quatre ans, avant la libération du pays grâce à l’armée vietnamienne en janvier 1979. Pendant ces quatre années, il y avait des prisons et des sites d’extermination un peu partout dans le pays.
Aujourd’hui, il est possible de visiter à Phnom Penh ce qui était la prison S-21, appelée aujourd’hui musée du génocide Tuol Sleng. C’est là que les cambodgiens étaient enfermés et torturés. On peut aussi visiter Choeung Ek, un camp d’extermination (killing fields) situé à 15 kilomètres de la capitale. Âmes sensibles, s’abstenir.
Le musée du génocide Tuol Sleng
Meurtre des intellectuels
Avant d’être la prison S-21, Tuol Sleng était un lycée. Avec l’arrivée des Khmers rouges au pouvoir, il a été transformé en prison. De 1975 à 1979, entre 12 et 20000 cambodgiens seront emprisonnés et torturés ici. Duch, le chef de la prison S-21, gérait la logistique et donnait les ordres aux tortionnaires, les soldats khmers rouges. Toute personne portant des lunettes, possédant un stylo, sachant parler une langue étrangère, les médecins, ingénieurs, intellectuels, etc… étaient tués car ils représentaient une menace pour le régime.
Torture des populations locales
Les malheureuses victimes, sous la torture, devaient signer de faux aveux avant d’être envoyé à Choeung Ek pour être tué. Comment se fait-il que des soldats torturent leurs confrères et consœurs? Il faut savoir une chose, la grosse majorité des barbares étaient des paysans de 10 à 20 ans, sans éducation et ne sachant pas lire. La plupart étaient des paysans qui ont grandi dans des coins reculés du pays, parfois dans la jungle, et qui n’avaient jamais visité de ville avant.
Ils étaient donc plus facilement manipulables par les chefs, et ça explique pourquoi les intellectuels étaient redoutés par Pol Pot, le chef des Khmers rouges. Sur ordre de Duch, le chef de la prison S-21, les soldats s’entraînaient sur des animaux (surtout des chiens), avant de commencer à torturer des humains. Duch disait d’ailleurs qu’il fallait torturer pour faire parler, pour obtenir une réponse, pas pour le plaisir.
Visite de Tuol Sleng
Mais concentrons nous sur la visite du musée du génocide Tuol Sleng. Tuol Sleng est divisé en quatre bâtiments, et il y a une cour centrale. Je donne les infos plus bas, mais je recommande vivement de prendre l’audioguide sinon vous passerez à côté de la visite. Un jeune cambodgien vous guide à travers Tuol Sleng dans un français parfait, et on commence par voir 14 tombes, celles des 14 dernières personnes retrouvées sur place… Juste à côté, une balançoire transformée en instrument de torture (je ne montrerai aucune image hard dans l’article mais croyez moi, il y a des choses pas faciles à regarder sur place).
Bâtiment A
Le bâtiment A est celui où se trouve les salles de torture. Avant d’être la prison S-21, c’est là que se trouvaient les salles de classe. Dans les différentes salles, on trouve un lit en métal, et rien de plus. Les victimes y étaient attachées et torturées. Interdiction de prendre des photos dans ces pièces.
Bâtiment B
Le bâtiment B est celui où l’on trouve les portraits des victimes. Tout nouvel arrivant à Tuol Sleng était pris en photo, on le mesurait, et on lui donnait un matricule. Certaines victimes déjà mortes ont également été prises en photo. On remarquera que quelques Khmers rouges font partie des victimes. En effet, vers la fin du régime, la paranoïa fut si grande que même certains Khmers rouges étaient suspectés de trahison et tués.
Bâtiment C
Le bâtiment C est celui où étaient emprisonnés les cambodgiens. On se rend compte que leurs cellules étaient vraiment minuscules. Il y a également un étage avec quelques documents relatifs à Pol Pot et les rares cadres Khmer rouges survivants (dont Duch, le chef de la prison S-21).
Bâtiment D
Le bâtiment D est celui où est exposé plusieurs documents relatifs à cette ère sombre de l’histoire : des photos de Phnom Penh avant/après l’arrivée des khmers rouges au pouvoir, des cartes qui montrent les mouvements de population, mais surtout des peintures de Vann Nath. Vann Nath était un des nombreux cambodgiens passé par Tuol Sleng. Mais il fait partie des très rares survivants (on estime qu’ils sont 12 à avoir survécu à Tuol Sleng).
Sachant très bien peindre, après la fin du régime, Vann Nath a peint pour la justice pour montrer ce qui se passait dans Tuol Sleng. C’est vraiment horrible à regarder, mais grâce à lui, on sait ce qu’il s’est passé dans la prison S-21… Si vous tenez à voir, tapez “Vann Nath paintings” sur Google et vous verrez les tableaux peints par Vann Nath, qui sont exposés ici à Tuol Sleng. Pas facile à regarder… Vann Nath est décédé en 2011.
Survivants de Tuol Sleng
Comment a t-il survécu? Certains cambodgiens avec des compétences bien spécifiques, pouvant servir au régime Khmer rouge, étaient épargnés. C’est pour ça qu’il n’a pas été tué, on le forçait à peindre des portraits de Pol Pot mais les khmers rouges ne se doutaient probablement pas que ça se retournerait contre eux plus tard. On est un peu secoué après la visite du musée du génocide Tuol Sleng. Juste avant de sortir, on peut apercevoir un vieil homme près d’un stand.
C’est Chum Mey, un des 12 survivants! Il était là! En fait, il y avait un stand avec son bouquin en vente et il attendait sagement. Je l’ai salué et souri, il m’a souri. Et je suis parti, sans jouer la groupie à le prendre en photo. Apparemment il n’est pas toujours là, j’ai donc eu de la chance de le voir. Parfois, c’est Bou Meng, un autre survivant, qui est présent, mais je ne l’ai pas vu.
Le musée du génocide Tuol Sleng a été ouvert dès 1980, un an après la fin du régime des Khmer rouges. Plein de locaux y sont allés en quête d’information, et ont trouvé des photos horribles de proches qui étaient morts (ouais c’est exposé). Ils ont découvert avec horreur des outils de torture, des crânes de morts… Et le musée du génocide Tuol Sleng n’était que la première partie du massacre. Il fallait ensuite tuer les pauvres innocents dans des camps d’extermination (les killing fields). Le lendemain de ma visite de Tuol Sleng, je suis donc allé à Choeung Ek, l’un des plus connus camps d’extermination, situé à environ 15 kilomètres de Phnom Penh.
Choeung Ek (les killing fields)
Massacre des populations locales
Il faut savoir qu’avant d’être un “killing field”, Choeung Ek était un paisible cimetière chinois… Les pauvres cambodgiens qui avaient signé de faux aveux à Tuol Sleng étaient ensuite transférés sur leur lieu d’exécution, Choeung Ek. A Tuol Sleng, on leur mentait en leur disant qu’on les transférait ailleurs pour éviter tout mouvement de panique. Ils ne savaient pas qu’ils se rendaient sur leur lieu d’exécution… 20000 personnes mourront à Choeung Ek…
Les victimes étaient déplacées de Tuol Sleng à Choeung Ek pendant la nuit, pour ne pas éveiller les soupçons. Ils arrivaient les yeux bandés, puis étaient tués à coup de pelle ou égorgés mais surtout pas par balle. Ça fait trop de bruit et puis ça coûte trop cher. Les victimes souffraient donc beaucoup avant de mourir, et de grosses enceintes jouaient des chants pour couvrir les cris des pauvres victimes.
Le DDT
Une fois morts, les victimes étaient jetés dans une fosse commune. Du DDT était aspergé sur les exécutés pour masquer l’odeur de mort (à cause de la décomposition des corps) et éviter la suspicion des travailleurs aux alentours (qui utilisaient aussi du DDT comme insecticide). Le DDT permettait aussi d’achever dans la fosse ceux qui n’étaient toujours pas morts.
De plus en plus de morts
Ce massacre aura duré plusieurs années. Au début, environ 200 citoyens par mois étaient tués à Choeung Ek. Les victimes étaient exécutées le soir de leur arrivée. Mais avec la paranoïa et le nombre de victimes “en attente” de plus en plus importants, les derniers mois, 300 citoyens étaient tués tous les jours à Choeung Ek. Ils attendaient un ou deux jours après leur arrivée avant d’être tués.
Visite des killing fields
Une fois de plus, en arrivant à Choeung Ek pour votre visite, prenez un guide audio. Un jeune cambodgien vous guidera et vous expliquera ce qu’il s’est passé sur place. Un des moments les plus durs arrive vers la fin. On se retrouve face à un arbre. C’est le killing tree (arbre tueur). Les bébés étaient pris par les jambes puis leurs têtes étaient fracassés contre cet arbre, avant d’être jetés dans la fosse juste à côté, avec les femmes. Tout le monde était nu dans cette fosse.
Le grand stupa
Au centre de Choeung Ek, on peut voir un grand stupa érigé en 1988 à la mémoire des victimes. C’est un stupa de 17 niveaux, en référence au 17 avril 1975. On ne peut pas entrer dans le stupa, mais on peut y voir plein d’ossements. Ils ont été classés par catégorie, âge des victimes… Tous les 20 mai, date du nouveau régime instauré par Pol Pot, il y a une cérémonie de commémoration. Des offrandes sont faites, et également des reconstitutions historiques.
Musée de Choeung Ek
A Choeung Ek, il y a également un musée libre d’accès avec projection d’un film qui montre comment était ce camp au moment de sa découverte. Dans ce musée sont aussi exposés des documents et des armes qui ont servi, et on peut voir l’uniforme khmer rouge.
Fin du régime Khmer rouge
Ces tueries de masse ont pris fin avec l’arrivée de l’armée vietnamienne à Phnom Penh le 7 janvier 1979. Les chefs Khmer rouges se sont enfuis vers la frontière avec la Thaïlande. Choeung Ek a été découvert par hasard par un paysan qui rentrait chez lui. Il a découvert un arbre avec des cheveux et de la matière cérébrale. Par la suite, les fouilles de Choeung Ek ont permis de trouver près de 9000 ossements sur environ 20000 victimes. 86 fosses communes sur 129 trouvées ont été exhumées. Dans l’une d’entre elles, on a trouvé 166 corps sans tête.
C’était des khmer rouges soupçonnés de traîtrise (grosse paranoïa de Pol Pot). Dans une autre fosse commune, on a trouvé 100 corps de femmes et bébés nus, à côté du killing tree. Des survivants ont commencé à témoigner et rapporter des cas de viols, de cannibalisme aussi… Au fil des mois, on a découvert environ 190 prisons dans le pays tel que la prison S-21, et environ 300 killing fields comme à Choeung Ek au Cambodge.
Qu’est-il advenu des cadres Khmer rouges? Il faut savoir une chose. La communauté internationale a soutenu les Khmer rouges jusqu’en 1991! C’était le jeu politique dû à la guerre froide. La Chine et le Vietnam accusaient ce mouvement mais les chinois et les vietnamiens étaient les méchants communistes pour les occidentaux, et les USA avaient en travers de la gorge la guerre du Vietnam qu’ils avaient perdu… Les US, les UK, la France soutenaient donc les Khmers rouges.
Cadre khmer rouges en prison
Après la chute du régime, les dirigeants du parti se sont tous enfuis vers la frontière avec la Thaïlande, et vivront dans la jungle ou des petits villages. Beaucoup d’entre eux mourront au fil des années. Pol Pot, le chef, est mort en 1998 dans des circonstances floues. Certains disent qu’il a été empoisonné par un ex-larbin mais on ne saura jamais. Le premier rattrapé par la justice sera Duch, le chef de la prison S-21. Il sera reconnu par un photographe irlandais, en 1999, dans un village cambodgien. Il sera jugé puis condamné à la perpétuité. Il est mort en 2020. Pendant son procès, on a décidé de le ramener à Tuol Sleng, face au killing tree. Il se serait mis à genoux et aurait commencé à pleurer en s’excusant pour le mal qu’il a fait.
Quatre autres cadres seront aussi finalement arrêtés en 2007, pour un procès qui a eu lieu en 2011. Khieu Samphan et Nuon Chea seront condamnés à la prison en perpétuité, ils sont toujours en prison. Ieng Sary meurt en 2013 pendant son procès. Sa femme Ieng Thirith est jugée inapte à participer au procès (elle a la maladie d’Alzheimer), et elle est remise en liberté pour démence en 2012. Elle mourra en 2015. Tous rejetaient la faute sur les exécutants malgré les preuves.
Et les bourreaux justement? Après la chute du régime, on leur a demandé comment avaient-ils pu être aussi cruels avec des hommes, femmes et enfants. Ils disaient qu’ils ne faisaient qu’obéir aux ordres… Je l’ai dit plus tôt, les exécutants étaient des paysans sans éducation, mais bon…
Je suis reparti en repensant à tout ça. En marchant dans les rues de Phnom Penh, dès que je voyais un homme d’un certain âge dans la rue (au moins 50 ans) je me disais que c’était un potentiel bourreau à l’époque khmer rouge. Ou un survivant de ce massacre. Pareil quand je voyais une femme âgée. Peut être une survivante de cette horreur.
Il y a eu d’autres massacres dans l’histoire : les américains avec les Apaches, les nazis en Allemagne, Pinochet au Chili, les Tutsis et Hutus au Rwanda, les rohingyas en Birmanie, le génocide arménien… Peut être même qu’il y en aura d’autres dans le futur. Mais se rendre sur place, voir des images choquantes, entendre des anecdotes horribles, ça fait quelque chose. Je vous conseille vivement d’aller visiter Tuol Sleng et Choeung Ek, mais j’ai vu des gens en pleurs sur place. Vous êtes prévenus. Vous passerez sûrement un peu de temps dans le pays, donc lisez mon guide pour savoir que faire au Cambodge!
Où se trouve Tuol Sleng
Le musée du génocide Tuol Sleng se trouve dans Phnom Penh, vous n’aurez aucun mal à y aller.
Combien coûte l’entrée du musée Tuol Sleng
L’entrée est à 5 dollars mais comme je l’ai dit, prenez un audioguide. Sinon vous passerez à côté de la visite. Avec l’audioguide, l’entrée est à 8 dollars.
Combien de temps dure la visite du musée Tuol Sleng
Comptez environ 3h pour la visite.
Où se trouve Choeung Ek
Choeung Ek (les killing fields) se trouve à environ 15 kilomètres de Phnom Penh. Vous pouvez louer un scooter pour vous y rendre, mais de ce que j’ai compris, les killing fields ne sont pas faciles à trouver. Le plus simple est de demander à un tuktuk de vous y amener, et de vous ramener en ville ensuite. Ça vous coûtera 12 dollars l’aller retour.
Combien coûte l’entrée de Choeung Ek
L’entrée de Choeung Ek est à 6 dollars avec le guide audio.
Combien de temps dure la visite de Choeung Ek
Une fois de plus, comptez environ 3h pour la visite.
Quand aller à Tuol Sleng et à Choeung Ek
Que ce soit pour Tuol Sleng ou Choeung Ek, allez y de préférence le matin. L’après midi, il y a plein de gens et surtout le soleil cogne. Je vous suggère d’y aller deux jours différents, en commençant par Tuol Sleng. Vous pouvez voir les deux endroits le même jour, mais vous verrez forcément un de ces deux lieux l’après midi. Et sachant ce qu’on visite, ça pèse beaucoup sur le moral si on y va en une seule fois…
Infos pratiques pour visiter Tuol Sleng et Choeung Ek
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